Éditorial

P. Jacques Fédry, SJ.

P. Jacques Fédry, SJ.

Au terme de ma première rencontre avec un Provincial de la Compagnie, le P. Jean-Roger Ndombi, SJ, me demanda de me rendre à la communauté Saint Robert Bellarmin à Yaoundé pour y rencontrer un père. Le Jour-J, je m’y rendis, et l’on me conduisit à ce qui servait de bureau au P. Jacques Fédry, SJ. En entrant, je le trouvai assis derrière son ordinateur, concentré sur ce qu’il faisait. J’eus l’impression que j’avais interrompu quelque chose d’important, un travail ? Une prière ? Fédry, je découvrirai plus tard, était un véritable contemplatif dans l’action.

Le père se leva poliment, me salua, avec un large sourire : « Jean Luc ? », « entrez, asseyez-vous ! ». Il se rassit à son tour, son regard toujours sur son écran : « On m’a dit que vous êtes étudiant en histoire ? » « Oui, Père », répondis-je. « Et il vous arrive de faire des exposés en classe ? » « Oui, Père ». « Et ce fut quoi ton dernier exposé ? » En 5 ou 7 minutes, je lui fis un exposé sur le Mahdisme en Afrique de l’Est au bout duquel le père se tourna, se leva à nouveau, et me tendit la main : « Très bien, Jean Luc, j’espère que nous nous reverrons ! »

L’entretien était terminé. Je sortis, sans vraiment comprendre ce qui venait de se passer. Ce n’est que plus tard que l’on me dira que cela faisait partie de l’examen canonique, que deux autres Pères bientôt complèteront. Je l’ai rencontré par la suite à plusieurs reprises, et nos conversations étaient toujours simples, franches, profondes, et non sans exigence académique. Il me répéta une ligne qui m’instruira jusqu’à ce jour. Ignace, me dit un jour le Père Fédry, voulait faire de grandes choses pour le Seigneur, jusqu’au jour où, dans une situation d’impuissance, il laissa le Seigneur faire des choses par lui et en lui. Il me parlait de l’équilibre que l’on atteint lorsqu’on passe progressivement d’un volontarisme de jeunesse dans notre relation à Dieu, à une obéissance religieuse où l’on se rend disponible à la volonté de Dieu dans notre vie.

Les adjectifs de simplicité, de profondeur et de franchise dans la conversation parlent de l’homme spirituel, l’homme de prière, le religieux au service du bien des âmes et de l’Église. Jacques m’approcha au cours d’une retraite en 2021 pour me rendre compte, avec une étonnante simplicité, des fruits de son examen, et des motions que produisait en lui sa prière. Je l’écoutai religieusement, et lui répondis que son partage produisait les mêmes effets en celui qu’il examina 19 ans auparavant, que c’est le Seigneur qui parle et agit en lui comme d’un instrument, et se sert de lui pour montrer le chemin de Dieu à tant de personnes, y compris moi-même. Il s’en émut, et se remit en marche, les bras sur le dos.

La rigueur académique, c’est l’esprit vif et méticuleux d’un auteur prolifique, un scientifique soucieux du travail bien fait. Jacques a pris au sérieux la dimension intellectuelle de sa vocation jésuite. En plus de ses multiples publications sur lesquelles nous reviendrons un jour, il se rendait toujours disponible pour lire un manuscrit et le passer au peigne fin. Il partageait ses notes de retraite, soumettait ses manuscrits au plus inattendu des lecteurs, pour sentir si ce qu’il écrivait avait une résonnance plus large que sa propre compréhension. Dans sa dernière correspondance, il regretta que mon dernier livre ne soit pas disponible en français, et exprima le désir de travailler ensemble pour le traduire.

Dans la vielle tradition de la Compagnie, c’est donc un docte et un vertueux qui s’en est allé le 18 novembre dernier, un homme pour qui, pour citer l’homélie du P. Ndombi lors de ses obsèques à Brazzaville, « Dieu était la seule référence » (Jean-Roger Ndombi, SJ). C’est surtout un missionnaire, de la vieille tradition de la Compagnie, qui quitte l’Afrique après y avoir servi pendant 50 ans, avoir scientifiquement appris ses langues, avoir enseigné ces mêmes langues et nos cultures, publié abondamment sur elles. C’est le directeur spirituel qui accompagnait, réfléchissait constamment sur son accompagnement, et produisait ouvrages et brochures pour aider un plus grand nombre.

Il n’y a pas de plus grand amour que de donner tant pour les personnes et les cultures que l’on aime ! C’était là, pour Fédry, l’expression d’un autre amour : celui de toute une vie, amour de Dieu qui l’a appelé à le servir dans la Compagnie et l’Eglise. Il n’a pas eu le temps de recevoir d’ici-bas la mission de prier pour la Compagnie et l’Eglise. Le Seigneur la lui confiera au ciel, pour cette Compagnie et cette Eglise africaine dont il s’est fait l’apôtre. Alors qu’il part, la moisson reste abondante et les ouvriers peu nombreux. Du ciel, il peut donc souffrir un dernier scrupule : c’est en partie à cause de lui que les ouvriers restent peu nombreux, parce que le champ qu’il a semé a produit beaucoup de fruits.

Cher Jacques, que la terre de nos ancêtres te soit légère !

Heureuses fêtes de Noël et de Nouvel An !

 

Jean Luc Enyegue, SJ
Directeur JHIA